L'autodiagnostic, comment comprendre ce phénomène ?

Qui n’a pas déjà scruté le Web ou questionné son entourage au sujet de ses symptômes pour lesquels il aimerait bien trouver une explication ? En résultent parfois ( trop souvent !) les premières étapes menant à l’autodiagnostic.

Cette pratique est naturelle : dès l’apparition de symptômes, on veut leur donner un sens pour orienter nos actions et se sentir mieux. Le problème est que la majorité des autodiagnostics sont faux ! En outre, ils ont le potentiel d’entraîner des effets néfastes majeurs sur la santé, comme retarder le dépistage d’une autre condition médicale, ou une mauvaise prise en charge des symptômes. Malgré tout, la préférence pour l’autodiagnostic persiste, voire augmente. Étonnant? En fait, pas vraiment!

Plusieurs raisons « pratiques » peuvent expliquer la réticence qu’ont les gens à consulter un professionnel de la santé pour confirmer l’autodiagnostic. L’aménagement du rendez-vous dans l’horaire, le déplacement, l’accès au soin, la banalisation des symptômes, à titre d’exemple. Mais est-ce réellement les seules raisons? Afin de bien comprendre l’attrait de l’autodiagnostic et les motivations intrinsèques, il importe d’explorer sa fonction. Qu’est-ce que cet autodiagnostic apporte comme avantages? Que se passerait-il s’il était infirmé?

Les bénéfices secondaires de l’autodiagnostic

En explorant les impacts positifs et négatifs d’avoir un diagnostic, comme celui de la maladie cœliaque, on peut parfois remarquer la présence de bénéfices secondaires qui y sont associés. Par exemple, l’impression de recevoir plus d’attention de son entourage ou s’autoriser à prendre congé pour s’occuper de sa santé. Or, ces avantages peuvent être d’excellents indicateurs que certains de nos besoins, comme se sentir soutenu ou prendre soin de soi, ne sont pas adéquatement répondus.

On peut alors se demander : si ces besoins étaient comblés différemment, est-ce que la réticence à consulter serait aussi prenante? Surtout, refuser de consulter un professionnel de la santé vaut-il les risques et les coûts qui peuvent s’y rattacher ? Une première étape pourrait donc être de tenter de cibler les besoins sous-jacents aux bénéfices secondaires et d’explorer des façons plus saines d’y répondre.

Toutefois, il arrive que ces bénéfices soient plus insidieux, notamment lorsqu’ils servent à éviter certaines émotions qu’on considère comme difficiles à gérer ( sentiment d’impuissance, par exemple ). Afin d’illustrer ce concept, prenons les cas d’Anne-Marie et de Sylvie, vivant chacune le sentiment d’impuissance selon des contextes complètement différents.  

Impuissance et compassion – le cas d’Anne-Marie, maman de trois enfants

La plus jeune fille d’Anne-Marie a été diagnostiquée cœliaque il y a quatre mois. Anne-Marie a eu beaucoup de difficulté à encaisser cette nouvelle. Elle se sent toujours déchirée de l’obliger à manger différemment que ses sœurs et craint que sa fille se sente à l’écart. Elle se sent impuissante. Or, depuis quelques semaines, Anne-Marie ressent de plus en plus d’inconforts digestifs et est toujours fatiguée. « Peut-être est-ce la maladie cœliaque ? » se demande-t-elle. Après tout, c’est une maladie héréditaire et avec tous ses maux actuels, elle se dit qu’il est plausible qu’elle aussi soit atteinte de la maladie. Elle hésite à consulter pour confirmer son diagnostic. À quoi ça servirait ? Après tout, elle a les symptômes! Et puis, ce serait peut-être plus facile si elle était cœliaque aussi, sa fille se sentirait moins exclue…

Impuissance et santé – le cas de Sylvie

Depuis des années, Sylvie se plaint de maux physiques chroniques : crampes au ventre, brûlure d’estomac, ballonnements. Elle a tenté bien des choses par elle-même, comme les diètes d’exclusion, la méditation et le sport. Son médecin lui a toujours dit que « c’était le stress ». Or, sa nouvelle collègue est cœliaque et, suite à leur discussion, Sylvie se reconnaît beaucoup dans ses symptômes. Elle a donc décidé de couper le gluten de sa vie et se dit maintenant cœliaque lorsqu’elle est invitée ailleurs ou va au restaurant. Son entourage l’incite à aller consulter pour confirmer ce diagnostic, mais elle refuse catégoriquement : et si le médecin lui annonçait qu’elle n’est pas cœliaque ? Est-ce que ça signifierait que rien ne peut expliquer toutes ses douleurs, qu’elle devra rester avec ses symptômes toute sa vie ? Cette pensée la terrifie. Elle préfère ne pas y aller. Et puis, elle est convaincue que ses symptômes ont diminué depuis qu’elle a enlevé le gluten de sa vie, alors ce serait inutile de consulter, non?

Bien que ces situations soient différentes, on remarque le rôle central que joue l’impuissance ( ou plutôt, le désir d’éviter l’impuissance ! ) dans la préférence pour l’autodiagnostic. Dans les deux cas, consulter implique de prendre le risque d’infirmer le diagnostic et ainsi revenir avec le sentiment initial d’impuissance. Cette émotion étant parfois difficile à tolérer, il est naturel de vouloir l’éviter. Toutefois, il importe de prendre en considération les coûts que peut entraîner cette stratégie. Par exemple, pour Sylvie et Anne-Marie, cela pourrait retarder le dépistage d’une autre condition médicale expliquant les symptômes, aggravant par le fait même leur santé. On peut donc se demander : l’évitement est-il la meilleure solution ? Et s’il y en avait une autre ?

Apprendre à tolérer

Une émotion forte ou désagréable peut susciter la peur, donner le sentiment qu’elle n’est pas tolérable. Cela entraîne souvent un comportement d’évitement qui se répète dans le temps, donnant l’impression qu’il est justifié d’éviter cette émotion. L’alternative à la stratégie d’évitement est justement de tolérer l’émotion, aussi difficile ou désagréable soit-elle. La tolérance à l’émotion est un processus d’apprentissage et quelques trucs peuvent aider à progresser en ce sens.

Leçon sur les émotions

D’abord, il importe de savoir que toutes émotions, indépendamment de leur intensité ou la valence qu’on leur accorde, sont valides et tolérables. Peu importe l’intensité de cette émotion, celle-ci finira inévitablement par redescendre, ne serait-ce que par l’effet du temps. Avoir ces notions en tête est primordial pour accepter de vivre l’émotion au lieu de la fuir et comprendre qu’il n’est pas toujours nécessaire d’agir dessus.

Travailler sur nos croyances

Afin de nous aider à tolérer une émotion, il peut s’avérer particulièrement utile de travailler sur les croyances qui y sont sous-jacentes. Prenons par exemple la pensée automatique: « cette émotion est intolérable ». Sur quoi se base cette pensée ? Quelles sont mes preuves que c’est intolérable ? En ébranlant cette croyance, il devient plus aisé d’apprendre tranquillement à tolérer l’émotion au lieu de l’éviter.  

Techniques de tolérance à la détresse

Lorsque l’émotion arrive, il est possible de se sentir submergé, surtout si la stratégie d’évitement était en place depuis longtemps. Afin d’aider la tolérance et laisser l’émotion émerger, il peut être aidant de s’engager dans des exercices de respiration ( comme la méthode de cohérence cardiaque ) ou se rappeler les pour et les contre de la tolérance de l’émotion.

Et vous, quels sont vos trucs pour vous aider à tolérer les émotions ?

Par Marilou Chamberland, doctorante en psychologie, Université du Québec à Trois-Rivières.
Paru dans le magazine Info Coeliaque, Printemps-Été 2019, Vol 36 N°1