Rédaction : Nawal Said, stagiaire en nutrition et Christine Desjardins Dt.P., M.Sc.
Collaboration : Dr Prévost Jantchou, pédiatre spécialisé en gastroentérologie pédiatrique
Article paru dans Le Magazine Cœliaque Québec, Vol 38 N° 1, Printemps-Été 2021.
* Dans le présent article, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique : ils ont à la fois la valeur d’un féminin et d’un masculin.
Le passage à l’âge adulte est une étape de vie excitante et pleine de défis qui nécessite plusieurs adaptations. Apprendre à vivre seul, en couple ou en colocation, changer de milieu scolaire ou entrer sur le marché du travail sont là quelques défis qui attendent les jeunes adultes. Et bien sûr, pour les cœliaques, il faudra apprendre à manger sans gluten, sans aide parentale !
Parmi les grandes étapes de la vie, le passage à l’âge adulte préoccupe particulièrement le Dr Prévost Jantchou, pédiatre spécialisé en gastroentérologie au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, puisque cela sonne aussi la fin des suivis en pédiatrie pour ses jeunes patients coeliaques. « Avec des enfants et des adolescents, les suivis sont souvent plus rapprochés, plus serrés. Grâce à la collaboration des parents, nous pouvons réagir rapidement lorsque la maladie n’est pas contrôlée. Une fois adulte, la gestion de la maladie revient au patient lui-même et certains tardent à consulter quand ça ne va plus. C’est tout un défi pour certains de continuer à suivre l’alimentation sans gluten de façon stricte, en plus d’avoir à naviguer dans le système de santé. »
Dr Jantchou nous rappelle l’importance de bien préparer nos adolescents à cette grande étape de la vie, que ce soit en tant que parent ou en tant que professionnel de la santé. Il nous rappelle aussi que chaque adolescent présente un parcours de vie et un niveau d’autonomie différents. Ceux diagnostiqués à un très jeune âge se sentent habituellement plus outillés pour prendre en charge leur maladie au moment de devenir adultes, car ils ont appris à vivre avec depuis de nombreuses années. Quant à ceux diagnostiqués plus tardivement, ils risquent de vivre cette étape plus difficilement, puisqu’ils ont eu moins de temps pour apprivoiser la maladie et son traitement. Certains pourraient avoir tendance à s’isoler ou à limiter leurs activités sociales, ce qui risque d’avoir un impact sur leur santé mentale.
Voici quelques conseils pour vous aider à accompagner votre adolescent avant son départ du nid familial.
Développer ses habiletés en cuisine
Quand on doit manger sans gluten, avoir des connaissances de base en cuisine est un atout. L’idée n’est pas de faire de votre ado un chef en cuisine, loin de là. C’est en pratiquant qu’il deviendra plus habile et qu’il prendra goût à cuisiner. L’important est de lui enseigner quelques techniques qui lui permettront de réaliser des recettes sans gluten. Misez surtout sur ses recettes préférées, ou des recettes rapides, il sera plus tenté de les refaire une fois dans son nouveau chez lui.
S’exercer à faire l’épicerie
Aller à l’épicerie pour la première fois pour une personne vivant avec une maladie coeliaque peut se révéler un défi de taille. Il est important que votre adolescent y soit initié avant son départ de la maison. Demandez-lui de compléter quelques courses à l’occasion ou faites carrément une épicerie complète avec lui. Profitez de ce moment pour revoir ses notions de lecture des étiquettes. Sachez que toutes les épiceries ne disposent pas les produits SANS GLUTEN de la même façon. Il peut être intéressant d’accompagner votre jeune dans les épiceries qu’il risque de fréquenter quand viendra le moment de quitter la maison. Il sera plus facile pour lui de retrouver ses produits fétiches par la suite.
Avant son départ de la maison, il peut être pratique de lui écrire une liste des aliments essentiels à toujours avoir sous la main ou encore un exemple de liste d’épicerie. Une application pour faire l’épicerie, ça existe? Oui, tout à fait, il y en a plusieurs, que ce soit pour faire des listes, obtenir des coupons rabais ou des idées de recettes en fonction des aubaines de la semaine. Une façon pratique et actuelle de planifier et d'épargner des sous. Il faut seulement rester vigilants en ce qui concerne les applications qui prétendent répertorier des aliments sans gluten. Rien ne remplace une lecture complète de l’étiquette !
Réduire la facture d’épicerie
Vous le savez déjà, les produits SANS GLUTEN coûtent plus cher (de deux à trois fois le prix1) que leurs équivalents courants. C’est un sujet important à aborder avec votre ado. Si la facture est trop élevée pour ses ressources, il y a des risques qu’il se limite dans l’achat de certains produits et qu’il consomme une alimentation peu variée et surtout pauvre en nutriments. Voici quelques astuces à lui suggérer pour économiser :
- acheter en gros formats lorsque c’est possible. Ceux-ci semblent coûter plus cher sur le moment, mais offrent un rendement plus intéressant ;
- profiter des soldes pour faire des réserves d’aliments comme des céréales, des barres tendres, des pâtes, du riz, des conserves et des fruits et légumes congelés. Plusieurs produits SANS GLUTEN sont fréquemment offerts en solde, il s’agit de surveiller les circulaires. Le site www.circulaires.com répertorie les circulaires de la plupart des épiceries au Québec ;
- remplacer une partie de la viande par du tofu et des légumineuses. Beaucoup moins chères que la viande et reconnues pour leur valeur nutritive intéressante, les protéines végétales ont de plus en plus la cote chez les jeunes adultes ;
- choisir les fruits et légumes (un peu) moches. Certaines épiceries réservent une section aux fruits et légumes qui ne sont pas assez beaux pour être vendus dans les étalages habituels. Ils sont peu coûteux et tout aussi bons.
Vivre à deux
Vivre à deux quand on est coeliaque, c’est tout à fait possible et c’est même une belle occasion d’éduquer son colocataire ou son partenaire sur sa maladie et son traitement. Certains pourraient être tentés de ne pas en parler, par peur d’être jugés, mais il est très important de le faire, car la contamination risque de devenir un enjeu. Le jeune adulte peut expliquer par exemple que la maladie coeliaque va au-delà d’une simple intolérance et que manger sans gluten n’est pas un choix personnel, mais plutôt le seul traitement reconnu pour cette maladie. Coeliaque Québec a développé plusieurs outils pour aider à mieux comprendre la maladie et son traitement. Très pratiques lorsqu’on veut enseigner les bases de l’alimentation sans gluten à un proche. Vous pouvez les télécharger à l’adresse suivante : https://www.coeliaque.quebec/fr/formation.
L’enjeu principal lorsqu’on vit à deux et que l’autre consomme une alimentation régulière avec gluten est la contamination. Voici quelques recommandations de base à rappeler à votre enfant :
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Mettre de l’équilibre au menu
On en parle partout – à la télé, sur Facebook, entre amis – manger santé, c’est tendance et bon pour notre corps ! Mais c’est parfois plus facile à dire qu’à faire, surtout lorsqu’on doit s’adapter à un nouveau mode de vie. Pour aller plus vite, on peut être tentés d’acheter des grignotines et des repas prêts-à-manger. Bien qu’il existe désormais une panoplie de produits transformés SANS GLUTEN accessible partout, ceux-ci n’ont pas toujours une valeur nutritive intéressante. Certaines études ont démontré que les produits SANS GLUTEN sont parfois plus riches en gras et en sucre que leurs équivalents ordinaires en plus de contenir moins de fibres2.
Le meilleur conseil que l’on puisse donner aux personnes coeliaques (comme à tout consommateur) est de favoriser les aliments de base, les moins transformés possibles. Les fruits et légumes, notamment, devraient occuper la plus grande part de l’alimentation. Bons pour la santé et naturellement SANS GLUTEN, ils sont moins chers que les produits transformés. Pas facile de convaincre un ado de manger des fruits et légumes, nous direz-vous ? Rassurez-vous, les goûts et les habitudes s’acquièrent tranquillement, il faut respecter le rythme de chacun. Suggérez-lui de nettoyer et couper à l’avance ses fruits et légumes préférés. Par exemple, un plat de crudités préparé ou des fruits prélavés, c’est plus facile lorsque survient une fringale.
Suivre une alimentation sans gluten, même en l’absence de symptômes
Entre les études, le travail et la vie sociale, il est tout à fait normal que le jeune adulte ait envie de déroger de son alimentation sans gluten à l’occasion. Surtout s’il ne ressent pas de symptômes. Dr Jantchou nous rappelle qu’il est important que vous ayez une discussion avec lui sur les complications possibles de la maladie cœliaque. D’ailleurs, le pédiatre se fait un devoir d’en parler à ses jeunes patients, au moment opportun. « Quand ils sont jeunes et viennent d’être diagnostiqués, on ne parle pas forcément des complications à long terme. Apprendre qu’on doit vivre avec une maladie chronique qui transforme son alimentation et sa vie sociale, c’est déjà beaucoup pour un enfant. Cependant, quand ils prennent de la maturité et deviennent adultes, c’est un sujet qui devrait être abordé. Parce que certaines complications, souvent insidieuses, peuvent les toucher directement. »
L’absence de symptômes après l’ingestion de gluten ne signifie pas que le problème est réglé. La maladie fait parfois des ravages sans que l’on s’en aperçoive. Les personnes coeliaques, qu’elles aient ou non des symptômes, doivent suivre une alimentation sans gluten stricte pour éviter les complications. Une maladie coeliaque non contrôlée peut engendrer plusieurs complications, comme de l’anémie, des troubles de fertilité et à plus long terme, certains types de cancers3,4,5.
Prendre soin de sa santé mentale
Bien sûr, il faut suivre une alimentation sans gluten stricte, mais il ne faut pas négliger sa santé mentale, nous indique Dr Jantchou. Une étude a rapporté que l’hypervigilance dans l’adhérence à l’alimentation sans gluten peut affecter la qualité de vie des coeliaques, et par conséquent, le bien-être général et social6. « Comme les enfants ont un suivi médical serré et vivent avec leurs parents, on dépiste rapidement les problèmes de santé mentale et la détresse psychologique à cet âge. Chez les jeunes adultes, et même les adolescents, les risques sont plus grands de passer à côté. »
Il ne faut pas hésiter à parler de santé mentale avec son ado. Si vous constatez que les restrictions alimentaires affectent sa qualité de vie et qu’il est difficile pour lui de vous en parler, vous pouvez l’encourager à consulter un psychologue et une nutritionniste. Ces professionnels peuvent l’aider à mettre en place un équilibre dans son quotidien que ce soit par l’accompagnement ou un rajustement des comportements alimentaires. Si votre enfant est aux études, sachez que plusieurs établissements offrent un soutien psychologique pour les étudiants qui en ressentent le besoin. Vous pouvez également consulter le 811 pour connaître les services en nutrition et en soutien psychologique de votre région.
Penser au suivi médical à long terme
Toute personne atteinte de maladie coeliaque devrait bénéficier d’un suivi médical à long terme. Dr Jantchou nous explique que pour la plupart des coeliaques, le suivi médical peut être effectué par le médecin de famille, à moins d’une maladie qui se complique ou à laquelle s’ajoutent d’autres maladies chroniques. Dans ces cas, le pédiatre dirigera le jeune adulte vers un gastroentérologue ainsi que vers les spécialistes indiqués selon les pathologies associées. Pour certaines personnes, ou même dans certaines régions, l’accès à des soins de santé peut s’avérer plus difficile. Si vous êtes inquiets concernant le suivi médical à long terme de votre enfant, il ne faut surtout pas hésiter à en discuter avec le pédiatre ou son médecin de famille.
Pour plus d’informations sur le suivi médical recommandé pour une personne coeliaque, consultez la section Suivi médical du site web : https://www.coeliaque.quebec/fr/suivi-medical. Coeliaque Québec tient à remercier Dr Jantchou pour sa contribution à cet article et son dévouement auprès des jeunes coeliaques. Si cet article vous touche et vous voulez y réagir en témoignant de votre vécu ou de vos préoccupations face à ce changement dans votre vie ou celle de votre enfant, écrivez-nous à info@coeliaque.quebec. |
Références dans le texe
1. White L.E., Bannerman E., Gillett P.M. (2016) Coeliac disease and the gluten-free diet: a review of the burdens; factors associated with adherence and impact on
health-related quality of life, with specific focus on adolescence. J Hum Nutr Diet. 29, 593–606 doi: 10.1111/jhn.12375
2. Melini V et Melini F. Gluten-Free Diet: Gaps and Needs for a Healthier Diet. Nutrients 2019. Jan15;11(1), 170. doi: 10.3390/nu11010170
3. M. Kreutz J et al. Narrative Review : Nutrient Deficiencies in Adults and Children with Treated and Untreated Celiac Disease. Nutrients 2020. 12, 500; doi:10.3390/
nu12020500
4. Grode L et al. Reproductive Life in Women with Celiac Disease; a Nation Wide, Population Based Matched Cohort Study. Human Reproduction. Vol.33, No.8pp.
1538–1547, 2018
5. Kupper S. Risk of Gastrointestinal Cancer in Celiac Disease. Impact – The University of Chicago Medicine Celiac Disease Center. Octobre 2016
6. L. Wolf R et al. Hypervigilance to a Gluten-Free Diet and Decreased Quality of Life in Teenagers and Adults with Celiac Disease. Digestive diseases and sciences
2018. Jun;63(6): 1438–1448.
Références générales
• Alimentation sans gluten : mode d’emploi, Coeliaque Québec, 2020
• La maladie coeliaque et les autres maladies induites par le gluten, Coeliaque Québec, 2020
• Faire des choix sans gluten, Coeliaque Québec, 2020
• 10 façons d’économiser sur sa facture d’épicerie. La vie à petits prix, Collection Coup de pouce, 2021