Isabelle Bourgeois, écrire à ses proches pour déboulonner les tabous de la maladie cœliaque

Rédaction : Gail Setlakwe, Dt.P., MBA
Collaboration : Isabelle Bourgeois, membre de Cœliaque Québec et conseillère en éducation
Article paru dans Le Magazine Cœliaque Québec, Vol 41 N° 2, Automne 2024.

Lors d’une Jasette sans gluten portant sur les émotions, une de nos membres, Isabelle Bourgeois, a raconté avoir choisi d’annoncer son diagnostic par écrit. Elle a accepté de partager son histoire et nous a permis de publier sa lettre dans ce magazine. Cœliaque Québec tient à lui offrir ses sincères remerciements pour ce beau témoignage. Et maintenant, allons à sa rencontre…

Q : D’abord, Mme Bourgeois, comment avez-vous reçu l’annonce de votre diagnostic?

R : Ça a été un choc, d’autant plus lorsque j’ai réalisé à quel point le gluten était partout. J’ai reçu la nouvelle juste avant de partir en Allemagne, un voyage planifié depuis un certain temps. J’ai donc profité de cette occasion pour étudier le guide de Cœliaque Québec destiné aux personnes nouvellement diagnostiquées. J’ai l’air d’avoir été très résiliente, mais je l’ai vécu comme des montagnes russes. Il y a une journée en Allemagne où j’ai grignoté juste des carottes, car je ne savais pas quoi manger en plus de devoir me faire comprendre en allemand. Malgré cela, je suis revenue avec l’intention d’écrire à mes proches.

Q : Qu’est-ce qui vous a incité à écrire cette lettre?

R : Cela fait partie de mon tempérament : je suis une citoyenne engagée et militante. Dans le cadre de mon travail, j’éduque et sensibilise les gens sur leurs droits. Lorsque j’ai appris mon diagnostic, j’ai tout de suite perçu la discrimination que je pouvais subir et j’ai voulu avertir tout le monde plutôt que de rester passive. Écrire ces lignes a été une solution pour m’aider à faire de l’ordre dans ma tête, à mettre les arguments ensemble et les mots sur les émotions afin de pouvoir moi-même entamer le processus de deuil.

Q : Votre mot a-t-il eu l’effet souhaité?

R : Oui, il a eu l’impact désiré, soit une vague d’empathie et un sentiment de soutien. J’ai senti que les gens pouvaient m’aider là-dedans. Ça a préparé le terrain afin qu’ils soient alertés si jamais je posais trop de questions ou s’il y avait des déceptions ou des frustrations par rapport à un resto. Il y a eu un « filtre » qui s’est fait et j’ai pu rapidement voir qui était plus réceptif, qui se souciait de moi ou qui était peut-être moins apte à se plier.

Q : Cinq ans plus tard, comment vous sentez-vous par rapport à votre diagnostic?

R : Je me sens bien et ça fait partie de la vie normale. Aujourd’hui, je sais ce que je peux manger et je connais de bons produits SANS GLUTEN que j’utilise régulièrement et je suis toujours heureuse d’en découvrir d’autres.

Q : En conclusion, qu’aimeriez-vous partager aux autres personnes cœliaques?

R : Lorsqu’on annonce son diagnostic, on dirait que les gens s’intéressent juste à ça et que l’on doit réexpliquer constamment la maladie. Toutefois, il est important de rappeler que ce n’est pas cela qui nous définit dans la vie. Aussi, il y a beaucoup de nouveaux diagnostiqués qui sont tellement isolés, qui ne connaissent pas Cœliaque Québec et qui ne réalisent pas qu’ils peuvent juste nommer les choses. Nommer la tristesse, nommer qu’ils n’aiment pas se faire prendre en pitié, nommer qu’ils ont le goût de manger normalement comme les autres. Et si mon expérience peut être utile, c’est tant mieux!

Un petit message pour les gens que j’aime…

Bonjour tout le monde,

Lundi dernier, j’ai reçu une très triste nouvelle qui est tombée un peu comme une bombe dans nos vies : j’ai la maladie cœliaque. Pour toute trace de gluten ingurgitée (une graine de pain comme une baguette au complet), mon système immunitaire envoie un signal de détruire la substance nocive et détruit, du même coup, ma paroi intestinale, nécessaire à l’absorption des nutriments et vitamines. Cela me met à risque de carence en nutriments, de douleurs intestinales, d’ulcère d’estomac et autres. Et du gluten, ben… il y en a partout : pain, céréales, bière, bouillons, soupes, pâte à dent, médicaments, sauce soya, charcuteries, épices, etc. Il faut également ajouter la contamination, par le grille-pain, les pots de condiments partagés, etc.

Je ne vous cacherai pas que la nouvelle est très difficile, pour Seb comme pour moi. Cela demande de changer beaucoup d’éléments dans notre vie : repenser nos sorties, repenser nos voyages, repenser notre cuisine, etc. Mais nous n’avons pas d’autre choix et nous avons une bonne capacité de résilience. Au fur et à mesure, on va prendre cela comme un beau défi.

Je vous écris aujourd’hui non pas pour avoir votre pitié. Évitez d’ailleurs. Je vous écris pour vous informer et vous inviter à faire preuve de compréhension. Si je pose abusivement trop de questions sur le repas que vous avez préparé ou sur le restaurant où nous allons. Si j’apporte mes plats préparés et mes outils de cuisine (et que je ne les partage pas avec vous) ou insiste à vous inviter à manger à la maison. Si je passe beaucoup de temps à regarder les étiquettes ou si j’impose un choix de repas. Si je refuse de manger ce que vous avez cuisiné par manque d’information (même si vous aviez une superbe belle intention de cuisiner sans gluten). Ce n’est pas par caprice, je n’ai pas le choix. Nous prendrons toutes et tous l’habitude.

Comme nous sommes encore en processus d’apprentissage sur ce que signifie être coeliaque, mon amoureux et moi ne pourrons répondre à toutes vos questions. Et la maladie coeliaque ne devrait pas être LA chose qui me caractérise. J’ai d’autres intérêts et passions (oui oui!), j’ai une belle personnalité (j'pense ...) et j’aurai toujours plus de plaisir à parler d’enjeux sociopolitiques, de philosophie et de féminisme que de parler de ma maladie. Ne l’oubliez pas. J'aurai toujours envie de faire des activités avec vous et ma maladie ne devrait pas être un frein, mais une occasion de s'adapter.

Voilà. C’était un petit (trop gros!) message qui me permet également de mieux accepter ma situation. Un gros merci à mon chum qui m'encourage et m'appuie tous les jours dans cette épreuve, pis à Jeanne, qui ne comprend pas trop, mais qui n'insiste pas pour savoir pourquoi maman mange quelque chose de différent.

Je vous aime et vous remercie pour votre soutien,

Isabelle

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