Michaël Bensoussan, gastroentérologue

Pour le gastroentérologue Dr Michaël Bensoussan, il y a certainement un avant et un après le diagnostic de la maladie cœliaque de sa fille Sacha dans sa vie tant personnelle que professionnelle. Fort de ses 15 années de pratique, mais aussi de son expérience familiale, il accompagne les patients cœliaques avec son œil de spécialiste, son oreille bienveillante, et son cœur de papa.

Au petit écran dans l’émission De garde 24/7 à Télé-Québec, Dr Michaël Bensoussan s’est fait connaître comme ce docteur articulé, chaleureux, humain et empathique comme on en voit peu dans la sphère médiatique. Les téléspectateurs l’ont aussitôt adopté et il s’en est fallu que de quelques mois avant qu’on l’aperçoive sur d’autres tribunes comme CKOI et TVA.

Cette capacité à se mettre dans la peau d’autrui est l’élément central dans sa relation avec ses patients, confirme d’emblée le gastroentérologue de l’Hôpital Charles-Le Moyne, rencontré dans un café du Plateau-Mont-Royal, quartier qu’il habite avec sa femme et ses quatre enfants. « Je suis aussi oncologue digestif de formation, alors j’ai passé une partie de ma carrière à annoncer des diagnostics parfois très graves à mes patients. J’ai beaucoup travaillé sur cette notion d’empathie et de ce qu’est l’annonce d’une maladie. »

La compassion qu’il éprouve envers ses patients cœliaques a fait un bond extraordinaire lorsque sa fille Sacha a elle-même été diagnostiquée. « Depuis que je sais ce qu’est la vie sans gluten, mon expérience personnelle s’est totalement enrichie, admet-il. Mon empathie s’est décuplée et je pense que les patients le ressentent. La plupart sont assez jeunes, ils sont inquiets, pleurent et ne savent pas s’ils vont être capables. C’est à cet instant que je leur prends la main et leur fais comprendre que tout va bien aller. Que ça va être compliqué pendant trois à six mois et qu’après, ça va changer leur vie, y compris dans des recoins de leur personnalité, de leur profession, de leur sociabilité, de leur vie de couple.»

Le diagnostic de Sacha

La petite Sacha avait six ans lorsque son gastroentérologue de père a remarqué sa fatigue soudaine et son extrême pâleur. « J’avais tout de suite compris qu’elle était anémique. On a fait une prise de sang et le seul symptôme qu’elle avait été une anémie ferriprive très profonde. J’ai immédiatement pensé à la maladie cœliaque. J’ai dû garder cette information pour moi parce que je n’étais pas sûr à 100 % et que je savais que ça impliquait une endoscopie et des biopsies digestives. Le jour où j’ai appris à ma blonde que les anticorps de Sacha étaient positifs, j’ai fait une tête qui lui a fait craindre le pire. Donc l’annonce la plus ratée de ma vie, c’était celle où j’ai révélé à ma femme que notre fille était cœliaque. (rires) Elle m’a taquiné en me disant : toi, tu enseignes la relation médecin-malade ? On est souvent très mauvais médecin pour les siens. D’ailleurs, ce n’est pas moi qui suis Sacha pour sa maladie cœliaque, mais un collègue gastroentérologue.»

La chance qu’a eue Sacha d’avoir un papa médecin, c’est d’avoir été diagnostiquée très tôt, peu de temps après l’apparition des premiers symptômes. On ne peut pas en dire autant de la vaste majorité des patients cœliaques. «Ma fille a été pour moi comme la révélation ultime que malgré la pauvreté des symptômes, la maladie cœliaque peut ressembler à tout et à rien, observe le gastroentérologue. Il peut y avoir zéro symptôme ou juste de l’irritabilité, juste de la nervosité, juste des troubles de sommeil, par exemple. J’ai réalisé que lorsqu’en tant que docteur, on ne comprend pas ce qu’a un patient, on devrait penser à tester les anticorps anti-transglutaminases. Combien de patients suivis pour un côlon irritable, une extrême nervosité, de la fibromyalgie ou je ne sais quoi encore, sont en fait des cœliaques non diagnostiqués?»

Conseil de famille

Au moment d’apprendre la maladie de Sacha, Dr Bensoussan et sa femme ont spontanément réuni leurs quatre enfants en conseil de famille : « On leur a dit : “ écoutez, Sacha va maintenant faire une vie sans gluten et à bien des égards, on va tous s’y mettre. Chacun fait ce qu’il veut en dehors de la maison, mais on va la soutenir parce qu’on est une équipe ”. De manière un peu égoïste, ma femme et moi, on ne se sentait pas capables de gérer une double logistique avec du gluten et du sans gluten. Mettre la maison sans gluten nous semblait indispensable psychologiquement pour une enfant de six ans au moment de son diagnostic, car s’il y a un endroit où elle doit se sentir en sécurité et pouvoir manger ce qui lui tombe sous la main, c’est chez elle.»

Comment transpose-t-il ce point de vue à ses patients ? « Je leur donne le même conseil, énonce le médecin du ventre. Il m’est arrivé de ressentir de la colère devant le manque de compréhension de la part de l’entourage d’un patient. Honnêtement, je vois mal comment on peut facilement cheminer vers une vie sans gluten sans avoir le soutien de son entourage pour l’épicerie, la logistique, les déplacements. Je ne vois pas pourquoi lorsqu’il s’agit d’une maladie de Crohn, d’un cancer du sein ou de la sclérose en plaques, personne n’hésite à faire équipe avec l’autre, alors qu’avec la MC, on ne fait pas équipe parce que ça nous coûte de couper le gluten.»

Tissé serré, le clan Bensoussan en est même ressorti plus fort : «Comme toute épreuve, ma famille est passée au travers et j’ai la prétention de croire que ça a été générateur de liens et de complicité entre nous», affirme le papa.

Le fil rouge

Formé à Strasbourg d’où il est originaire, Dr Bensoussan a eu son premier poste de gastroentérologue à l’Hôpital européen Georges-Pompidou à Paris où il a travaillé auprès de l’éminent Professeur Christophe Cellier dont la spécialité était la maladie cœliaque : «Cette maladie est comme un fil rouge qui m’a accompagné durant toute ma vie de gastroentérologue et toute ma vie d’homme », souligne-t-il.

Le médecin vedette le dit sans détour : « Il y a vraisemblablement une méconnaissance de la maladie cœliaque dans le monde médical qui n’est plus acceptable. Je le dis avec d’autant plus d’empathie et de tendresse envers mes collègues que mes propres connaissances en tant que médecin spécialiste, se sont multipliés par quatre depuis que j’ai été touché de près par cette maladie. Maintenant que j’ai des connaissances plus pointues, je me rends bien compte qu’au sein des gastroentérologues, il y en a qui  connaissent la maladie mieux que moi, d’autres qui la connaissent moins bien et d’autres qui la connaissent très peu et très mal. Si parmi les gastroentérologues, certains la connaissent très mal, qu’est-ce que ça doit être chez les médecins de première ligne, soit les médecins de famille ? Ça me fait prendre conscience qu’il y a tout un travail d’information et d’éducation à faire».

De son point de vue, la maladie cœliaque est le meilleur symbole des conséquences de l’alimentation de notre santé de notre temps. «Cette maladie est une conséquence indirecte de l’industrialisation de notre alimentation et l’intensification de l’agriculture, affirme-t-il. C’est une des preuves que l’alimentation peut ultimement nous tuer. Alors je pense qu’il faut faire de la prévention primaire, celle de la reprise en main de notre alimentation et de notre mode de vie.»

Manger sans gluten, c'est se débarasser de l'alimentation industrielle et transformée, c'est se concentrer sur les aliments frais, c'est faire sa cuisine soi-même...

Manger sans gluten, c’est se débarrasser de l’alimentation industrielle et transformée, c’est se concentrer sur les aliments frais, c’est faire sa cuisine soi-même, renchérit le père de famille, dont les brownies à la vanille font fureur auprès de sa progéniture. «Je réalise que c’est une chance pour mes enfants que cet élément de réflexion sur l’alimentation transformée et ses conséquences soit arrivé très tôt dans leur vie, poursuit-il. Qui peut me dire ce qu’il y a véritablement dans les craquelins en forme de poisson ou dans des pattes d’ours?»

Regarder devant

Interpellé plus que jamais par les perspectives d’avenir de la maladie cœliaque, Dr Bensoussan suit de près les recherches sur les manipulations génétiques faites sur les OGM pour essayer de trouver du blé glutineux sans gluten. Il scrute aussi avec intérêt les recherches des équipes de l’Université de Chicago qui font des vaccinations en partant de l’hypothèse que la MC serait déclenchée par un facteur extérieur potentiellement viral. « Avec plus de 15 ans en gastroentérologie et d’espoirs déçus par des guérisons de maladie annoncées qui ne se sont pas avérées, je suis curieux et attentif, mais je ne crie pas à la révolution trop tôt », assure Dr Bensoussan.

Il faut cependant toujours garder espoir, ajoute-t-il d’un même souffle. «La science progresse pas à pas, puis avec des pas de géants. Il est probable qu’un jour, on trouve quelque chose. Il suffit de regarder ce qu’était la MC et la vie sans gluten dans les années 90 comparativement à aujourd’hui pour confirmer que l’on progresse!»

Par Mélissa Proulx
Tiré du magazine Info Coeliaque, Vol 34 N° 2 Automne 2017

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